Evaluation et Indicateurs dans les Politiques Publiques

J’ai déjà parlé plusieurs fois de l’évaluation, en avançant quelques réserves, quelques doutes, et quelques interrogations sur la confusion des genres, le détournement des missions (un Service Public n’est pas une entreprise, et sa production n’est pas à considérer comme une marchandise), et au final sur l’efficacité réelle de ces évaluations en regard des objectifs fixés !
Cette évaluation risque pourtant de se retrouver au centre de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) promise, et invite à la vigilance.

Du temps où j’étais étudiante, une expérience m’a marquée… pour toute la vie, je pense !
Il s’agissait d’un protocole assez simple: il fallait mettre en place une expérimentation de A à Z, c’est à dire en formulant les hypothèses de départ, de décrire avec précision le processus permettant de vérifier ou infirmer ces hypothèses, et enfin d’en tirer les conclusions.
Je précise que nous n’étions pas des chercheurs (même si sans doute certains parmi nous le sont devenu(e)s pas la suite), et ne savions pas grand chose des « techniques » à respecter, des « marches à suivre » dans ce genre de protocole, des pièges inhérents à ces démarches. Nous étions donc des naïfs, des candides, des apprentis-sorciers.
La conclusion de cette expérience (et non des expériences !) fut que :
- l’hypothèse de départ détermine l’expérimentation elle-même. Si cette hypothèse est insuffisamment réfléchie et argumentée, elle conduit généralement à ce que l’expérience la confirme… ou en tout cas ne l’infirme pas.
- le seul fait de mettre en place l’expérience, d’y participer, biaise les résultats par sa propre présence. Dit en d’autres termes, l’objectivité, dans l’absolu, n’existe pas. On peut cependant tenter de s’en rapprocher. Mais cela demande du temps et de la réflexion.
Je ne me rappelle pas du tout le nom de ce professeur, mais je lui ai très souvent été reconnaissante de nous avoir ainsi mis en situation, pris au pièges de nos propres croyances, de nos propres visions des choses.

C’est riche de cette expérience que je me méfie au plus haut point de l’évaluation à tout va, des conséquences qu’elle peut avoir… et des résultats qu’elle peut produire (ou poursuivre…) !
Tout dépendant bien sûr avant tout de ce que l’on cherche à mesurer.

Je vous conseille en tout cas vivement la lecture de ces 2 articles, dans La Vie des Idées, qui donnent à réfléchir !
L’un est écrit par deux professeurs et chercheurs en management, l’autre par une économiste.

Morceaux choisis :

¤ Des indicateurs pour les Ministres au risque de l’illusion du contrôleAnne Pezet & Samuel Sponem

Les effets pervers d’une simple stratégie d’affichage, ou pire d’une mauvaise compréhension de ces techniques managériales relevant alors de l’incompétence, peuvent être redoutables. Elles n’ont en effet jamais empêché les entreprises d’être mal gérées, voire de disparaître. Notons d’ailleurs au passage que, contrairement à une idée répandue, l’Etat et ses administrations sont déjà évalués.
L’article cite quelques exemples très instructifs !

Mettre en place des indicateurs pour mesurer la performance d’un individu nécessite qu’il ait un certain degré de contrôle sur les résultats à obtenir. [...]
La question qui se pose est alors de savoir quel degré de contrôlabilité les ministres vont avoir sur l’objet de ces indicateurs.

Les entreprises connaissent bien ces grands projets où les coûts baissent de 10% en trois mois, avant de remonter durablement par la suite.

Un indicateur va objectiver la performance des uns et des autres ? Grande naïveté. Un indicateur ne dit pas le vrai et le faux. Il faut le faire parler, l’interpréter. Il est toujours associé à une convention de lecture qui véhicule des hypothèses lourdes de conséquences.

Etre capable d’avoir des objectifs les moins ambigus possibles et s’assurer que ces objectifs sont bien reliés aux stratégies (ou aux politiques, dans le domaine public). [...]
Des conditions qu’il est souvent difficile, par nature, de réunir dans le domaine politique ou le secteur public dont l’un des objectifs est de créer des externalités (c’est-à-dire d’avoir des retombées sur l’ensemble de la société) par définition difficilement mesurables.

En fait, les indicateurs sont des instruments de gestion très utiles à condition de ne pas y accorder trop d’importance, [...] et surtout de les manier avec précaution. [...] Ils peuvent dans certains cas aider à y voir plus clair dans une situation confuse, ils peuvent aussi vous aider à comprendre de vos erreurs, mais ils ne ferment jamais tout à fait les débats sur la performance. Ils peuvent surtout être utilisés pour faire avancer, non pas la vérité mais ses propres intérêts. Les chercheurs en gestion les présentent ainsi parfois comme des outils de légitimation ou des « machines de guerre ». Leurs fonctions sont alors très différentes de la recherche de l’objectivité qu’ils sont censés permettre… Un mauvais indicateur ou un mauvais chiffre sert ainsi bien d’autres fins que l’efficacité.

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¤ Incitations et désincitations : les effets pervers des indicateursMaya Beauvallet
Cet article propose de nombreux exemples d’études sur l’évaluation des services publics, que je vous invite à lire in extenso !

Ces mécanismes d’incitations présupposent de lier les primes à la mesure précise d’une variable observable et vérifiable : l’indicateur.

La demande politique d’une plus grande clarté dans l’administration des fonds publics et l’exigence d’efficacité à l’égard des fonctionnaires a nécessité la mise en place d’un suivi des performances de ces administrations. Néanmoins, aux inconvénients des indicateurs déjà connus dans les secteurs privés, s’ajoutent des difficultés spécifiques à leur utilisation dans les secteurs publics.

Si, par exemple, l’agent producteur du bien a le choix entre des innovations diminuant le coût de production et des innovations améliorant la qualité du bien, on [3] montre que, sous certaines conditions, la production publique est plus à même d’améliorer la qualité du bien alors qu’un système de production privée favorisera la réduction de coût.

en jugeant les enseignants et les établissements suivant ces tests, est-ce qu’on les encourage à enseigner de manière à réussir le test, au détriment de pédagogies tout aussi importantes mais que le test ne mesure pas ?

Enfin, le fonctionnaire alloue son effort entre plusieurs usagers. L’inciter à la performance, c’est le désinciter au traitement égalitaire. Seul une rémunération fixe permet au fonctionnaire de traiter également l’ensemble des usagers. Il existe un arbitrage politique à faire entre plus d’efficacité ou plus d’égalité.

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Quand l’évaluation et la managérisation rencontrent leurs limites !

Edité le 10/03/2008 :
Voir aussi cet intéressant article sur l’action politique : L’action politique : rationnelle ou écologique ?


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