La justice face aux tueurs en série

Impuissance contre toute puissance :
la justice face aux tueurs en série

Depuis la fin du mois de mars se déroule à Charleville-Mézières le procès de Michel Fourniret et de Monique Olivier. J’ai vécu en 2003, en tant que partie civile, le premier jour du procès de Pierre Chanal renvoyé aux Assises pour l’affaire des disparus de Mourmelon. Deux traits communs donnent à ces deux affaires une dimension inhumaine et posent la question du rôle et du fonctionnement de la justice.

La similitude des attitudes adoptées par les deux personnes mises en cause (est-il vraiment question ici de présomption d’innocence ?) est frappante. Les moyens sont différents mais la finalité est la même : ils continuent à montrer leur soi-disant toute-puissance, évoquée par les experts psychologues qui les ont examinés. Même si ce sentiment de toute puissance les a poussés à l’erreur et conduits à leur mise en accusation, la perversité des auteurs de crimes en série est telle qu’ils tentent de mettre en scène leur propre procès : ils gardent le silence pour avoir le dernier mot ! En refusant de participer à leur procès et en ignorant les familles de leurs victimes, ils assassinent une seconde fois celles-ci. Bien sûr, il y a un exposé des faits et des conclusions de l’instruction mais, malgré cela, la justice semble totalement impuissante… Il faut souhaiter que le procès de Fourniret permette aux familles des victimes de commencer à se reconstruire. Il y a malheureusement un risque que l’attitude de l’accusé ne contribue à accentuer leur détresse.

Il y a ensuite la durée anormalement longue entre la date des crimes et celle du procès. Vingt-cinq ans entre les premières disparitions à Mourmelon et le procès avorté. Vingt années dans le cas de Fourniret entre le premier crime et le procès. C’est presque l’échelle d’une génération : certains parents de victimes, âgés ou décédés, n’ont pas la possibilité de connaître le terme de l’instruction et ce sont parfois leurs enfants qui se retrouvent sur le banc des parties civiles. On parle parfois d’une attention excessive portée aux victimes voire de « populisme pénal ». Certes, les responsables politiques, au plus haut niveau, ont parfois exploité ce filon à des fins de communication. Mais il ne s’agit pas seulement de droit des victimes : la question d’un procès dans un délai raisonnable concerne aussi bien les personnes mises en cause. Que dire enfin de la valeur d’un témoignage vingt ans après les faits ? Une bonne justice est une justice rendue… Est-ce le cas lorsque les délais sont si longs ou lorsque la justice demeure impuissance face aux criminels qu’elle doit juger ?

Comme à Mourmelon (extinction de l’action publique après le suicide de l’accusé) ou à Charleville Mézières (accusé refusant prendre la parole), il arrive qu’un procès ne puisse se tenir ou se dérouler dans des conditions normales. Notre société doit-elle admettre que ces cas extrêmes sont des exceptions qu’aucun système, aussi bon soit-il, ne saura jamais traiter, avec à l’origine des actes ou des criminels tellement inhumains qu’ils restent hors de portée de la justice des hommes ?

Au contraire, doit-on considérer que ces affaires complexes mettent en évidence les failles les plus profondes et les faiblesses des méthodes d’enquêtes ou d’instruction ? En 2005, après le fiasco de procès de Pierre Chanal, l’Etat français a été condamné pour faute lourde dans le fonctionnement du service de la justice, avec des attendus très sévères. Aucun des ministres de la justice sollicités, de Dominique Perben à Rachida Dati, n’a jugé utile de répondre aux questions posées par les familles des disparus sur les suites données à cette condamnation. Après Outreau, dans un contexte très différent puisqu’il s’agissait cette fois de personnes innocentes injustement mises en cause, la commission d’enquête parlementaire n’a finalement pas davantage obtenu la mise en œuvre des réformes proposées.

Tant que les enseignements ne seront pas précisément tirés de ces échecs, il faut craindre que des tels drames ne se reproduisent. La compassion du journal de vingt heures ne peut pas remplacer une véritable politique.


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