De la ségrégation des prolétaires…

J’avoue, le titre est un peu pompeux.
Mais il va bien en falloir, des phrases choc, des idées claires et entendables par tous pour sortir enfin de la pensée dominante (et non unique !) qui asphyxie nos neurones !

Je n’ai pas attendu cette excellente conclusion de Serge Portelli pour m’atteler à la tâche, mais il ne me semble est pas inutile de la re-citer :
Défaire un à un ces mensonges, montrer qu’une autre politique est nécessaire, plus efficace et plus respectueuse des libertés, qui fasse appel à l’intelligence et non à la peur.
Renaud Tarlet le dit autrement :
Réussir à convaincre des gens de se débarrasser de cette pensée dangereuse. Mais cela ne peut se faire avec des leçons de morale.

Cela peut peut-être se faire à force de patience, d’opiniâtreté, d’information, de réflexion.

Macbeth souligne ce résultat surprenant (?) d’une enquête CSA (au lendemain de l’interview de Notre Seigneur) sur les mesures de sanction annoncées envers les chômeurs.
61 % des français, selon ce sondage, seraient favorables à La mise en place de sanctions pour les personnes refusant deux offres d’emplois correspondant à leur qualification.
Question biaisée en elle-même, puisque ce n’est pas tout à fait ce que propose le gouvernement. Il faudrait rajouter : en acceptant une baisse par rapport au salaire antérieur, et une acceptation d’éloignement. Progressifs en fonction de la durée du chômage.
Mais de nombreux articles sont parus là-dessus, et vous pourrez vous renseigner sur les mesures et les réactions des syndicats sans grande difficulté.

L’article de Macbeth (Les retraités et les femmes au foyer CONTRE les chômeurs !!!) précise en effet que les plus forts pourcentages d’approbation se retrouvent parmi les retraités et les femmes au foyer.
Ce sont donc des inactifs qui sont les plus francs partisans de cette « idée ».
Je vous laisse lire sa réaction et les commentaires…

Mais cette constatation m’a donné envie d’aller y regarder de plus près, dans ces chiffres détaillés en fonction de la CSP (Catégorie Socio Professionnelle) et de l’âge. Or les chiffres sont parfois éloquents, si l’on se donne la peine de s’y pencher !

Donc, hormis ceux avancés par Macbeth, que constate-t-on ?

- tout d’abord que parmi les retraités qui approuvent la mesure, ce sont les 65-75 ans qui y sont le plus favorables (79 %), suivis de près par les plus de 75 ans.
Les chiffres tombent à 53 % parmi les 50-64 ans !
Mais, me direz-vous, cette dernière tranche ne concerne pas que des retraités (loin de là, même).
Et justement, ce qui m’étonne, c’est que ça reste encore aussi élevé, sachant que les seniors (« employables ») sont particulièrement touchés par le chômage.
Inconscience ? Ca n’arrive qu’aux autres ?
En sachant aussi que dans cette tranche d’âge certains bénéficient (plus pour longtemps) de dispenses de recherche d’emploi, ou de retraites anticipées. Nous, on l’a eu, vous, vous n’avez qu’à en baver ?

- si l’on se réfère aux tranches d’âge, le pourcentage de ceux qui approuvent la mesure fait un bond considérable entre la tranche 18-24 et 25-29, pour se stabiliser ensuite jusqu’au rebond des retraités.
Les 25-29 ans ont-ils déjà oublié les années de galère qu’ils viennent de passer ? Ou sont-ils prêts à tout pour ne plus galérer ?

- la CSP de l’interviewé nous dit ensuite que les cadres et professions libérales sont les plus opposés à cette mesure (seuls 39 % sont pour). Parce qu’ils souhaitent (et ont encore un peu le pouvoir de) garder la possibilité de choisir ?
Les ouvriers y sont les plus favorables (60 %). Tous prêts à la mobilité pour préserver leur emploi ? Sans doute, et on les comprend… Mais seront-ils vraiment prêts à accepter les conditions qu’on leur propose, quand elles se révèleront concrètement dans leur vie quotidienne ?

- sans surpise, les « travailleurs à leur compte » sont favorables à cette mesure… mais « seulement » à 64 %.
Une parenthèse à ce sujet : la catégorie « Artisan, Commerçant, Chef d’entreprise (*) » disparaît totalement parmi les interviewés !

- curieusement (?), les salariés du secteur public (51 %) sont moins favorables à cette mesure que ceux du secteur privé (60 %). Parce que plus conscients des véritables enjeux, en étant eux-mêmes moins soumis à la concurrence du marché ?

- enfin, ce sont les moins diplômés (parmi lesquels ceux du BAC, dont la valeur sur le marché du travail doit être bien ténue !) qui sont les plus favorables à cette mesure, si l’on s’en tient donc au niveau de diplôme.
Est-ce à dire que les moins diplômés sont davantage corvéables ? Ou qu’ils sont moins conscients des enjeux (cf les ouvriers) ? Ou qu’ils sont moins bien informés ? Ou tellement mis en concurrence que c’est chacun pour soi ?

Je ne suis pas sociologue, et un sociologue qui se baserait sur un sondage passerait pour un rigolo… à juste titre !
Mais justement, je ne le suis pas, et je me permets une interprétation toute intuitive :
- plus on est éloigné (ou en risque de l’être) du marché du travail, plus l’on approuve les mesures coercitives (comment dénommer autrement ce qui est proposé ?)
- moins le niveau d’étude et d’emploi (CSP) est élevé, et moins l’on perçoit le danger que cela peut représenter pour soi et ses pairs (et encore moins au niveau de la société), parce que l’on espère bien sûr que ça n’arrivera pas à soi-même
- plus on vieillit, et plus on oublie que les « débuts n’ont pas été faciles »… ou plus on se dit qu’il n’y a pas de raison que les plus jeunes n’en bavent pas eux aussi
- plus on est mis en concurrence et à rude épreuve, plus on accepte les sanctions. En espérant sans doute qu’elles tomberont sur « les autres » !

Le gouvernement fait tout pour opposer les travailleurs pauvres aux assistés qui ne le méritent pas, à chasser les fraudeurs sans doute bien moins nombreux qu’on ne le croit, pour diminuer ce qu’il dénomme l’assistanat et augmenter la responsabilité de chacun (en se dédouanant au passage de sa responsabilité propre).
Le discours ambiant est à la culpabilisation, à la diminution de la protection (dite sociale) et de la solidarité, à la suspicion envers tous les « profiteurs » de ce système.

Or il semble bien que cette idéologie (comment dénommer cela ?) ait bel et bien bien pénétré les esprits, y distillant l’idée de la sanction et de la punition plutôt que celle de la solidarité et de l’accompagnement.

Les chômeurs, comme les malades (voir franchises médicales), seront donc soumis à une double peine, la culpabilité en plus.

Mais ce genre de mesures a de beaux et grands jours devant lui !

Source : sondage de l’institut CSA pour le Parisien Libéré

Je vous ré-invite à la lecture de l’excellente tribune de Renaud Tarlet : “Pensée conformiste” et “bouc émissaire”

Voir aussi : Comprendre le discours anti-chômeurs
et
Haro sur les chômeurs

Edité le 09/05/2008 :
Une bonne analyse de « la » mesure : L’offre valable d’emploi ou la « flexi-régression »


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