Psychiatrie et enfermement : épistémologie, réforme… rhétorique et concertation

J’ai déjà évoqué les difficultés (quelques unes !) rencontrées par la psychiatrie, et donc les soins psychiatriques (voir La Santé de la Psychiatrie).
Ces difficultés ne sont pas nouvelles, et sont souvent mal comprises par les administratifs, et autres décideurs politiques.
Et il est vrai que le soin, là sans doute plus qu’ailleurs, coûte cher, pour des résultats qui restent difficiles à mesurer, donc à objectiver… et donc à évaluer !

Notre Seigneur s’est pourtant saisi une nouvelle fois d’un événement dramatique pour proposer (devrait-on dire imposer ?) de nouvelles mesures dans ce domaine, lors de son discours au Centre Hospitalier Erasme d’Antony, le 2 Décembre 2008.
Des propositions qui ont immédiatement suscité une réaction de la part des professionnels concernés, qui ont lancé un appel, titrè La Nuit Sécuritaire.
Je n’en souligne qu’une phrase, mais tout le texte donne à réfléchir :
Devant tant de « dangerosité » construite, la psychiatrie se verrait-elle expropriée de sa fonction soignante, pour redevenir la gardienne de l’ordre social ?

Reste que le discours de Nicolas Sarkozy est intéressant en lui-même, et que sans être une spécialiste de l’analyse de discours, linguistique et/ou idéologique, je m’y suis un peu penchée, parce qu’il me semble exemplaire.
Vous pouvez retrouver ce discours dans son intégralité, en audio-vidéo ici : Discours de M. le Président de la République sur le thème de l’hospitalisation en milieu psychiatrique, en pdf .
En remarquant au préalable que notre omniprésent semble assez peu à l’aise au début de son intervention (ce que l’on peut comprendre !), prenant moultes précautions et enfilant quelques paires de gants et brosses à reluire pour ne pas froisser quelques susceptibilités bien compréhensibles…
Il est beaucoup plus à son aise lorsqu’il aborde le thème de la responsabilité (position qui en elle-même n’est pas tellement discutable), ou celui de la réforme, son cheval de bataille.

Mais c’est la construction elle-même de ce discours qui interroge.
Un peu comme une dissertation, qui pose l’indispensable utilité du soin psychiatrique, et ses inévitables aléas, en préalable, pour y revenir à la fin, en conclusion, donc, alors que l’argument essentiel du discours est ailleurs, dans le corpus, justement !
Un bel effet de communication, qui ne peut cependant, espérons-le, leurrer personne sur le fonds, malgré toutes les précautions prises !

Quelques extraits :
C’est la 1ère fois qu’un président de la République rend visite à un hôpital psychiatrique. Dont acte !

Hôpital psychiatrique qui est souvent incompris, hôpital psychiatrique qu est rarement reconnu. [...] Ca, c’est bien vrai !
Comme notre société a besoin de vous, nous devons nous engager pour qu’on parle de vos établissements autrement quà l’occasion de faits divers qui mettent en cause les patients qui vous sont confiés. Ce qui n’est justement pas le cas… schizophrénie ?

… j’ai été choqué de ne pas entendre beaucoup de mots sur la famille de la victime.
Entendons-nous bien, la place des malades n’est pas en prison. Si on est malade, on va à l’hôpital. [...] Mon ropos n’est pas de dire que la seule solution est l’enferment, surtout l’enfermement à vie. Mon propos n’est pas de dire que seuls comptent les risques pour la société, et jamais le cas particulier du malade.
Et pourtant, pourtant…

Je mesure l’apport extraordinaire de la psychiatrie à la médecine d’aujourd’hui, et la singularité de votre mission.
Il faut trouver un équilibre [...] entre la réinsertion du patient, absolument nécessaire, et la protection de la société.
Dire cela, ce n’est bafouer personne.
C’est vrai… quand on s’en arrête là.

L’espérance parfois ténue d’un retour à la vie normale [...] ne peut pas primer en toute circonstance sur la protection de nos concitoyens. [...] Pourquoi, c’est le cas ?
Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte. [...] Il faudrait déjà pouvoir les prendre en charge réellement et dignement.
Il faut plus de sécurité et de protection dans les hôpitaux psychiatriques. [...] Je souhaite que plusieurs mesures soient mises en oeuvre à cette fin. Nous allons d’abord [...] réaliser un plan de sécurisation des hôpitaus psychiatriques. [...] Ces investissements [30 millions d'euros] serviront à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements, et à prévenir les fugues. [...] Certains patients hospitalisés sans leur consentement seront équipés d’un dispositif de géolocalisation qui [...] déclenchera aussitôt une alerte. [...] Une unité fermée va être installée dans chaque établissement qui le nécessite. [...] Nous allons aménager 200 chambres d’isolement. Ces chambres à la sécurité renforcée seront destinées aux patients qui peuvent avoir des accès de violence envers le personnel.
La création d’unités fermées, et la création de chambres d’isolement supplémentaires est une mesure dont je veux souligner l’importance : [...] certains patients ne sont pas faits pour l’hospitalisation conventionnelle, sans pour autant relever des unités pour malades difficiles. Il manque entre les deux une prise en charge intermédiaire, et c’est précisément ce vide que viendront combler les unités fermées et les chambres d’isolement.
Pour les malades les plus difficiles, nous allons renforcer le dispositif de prise en charge. Quatre unités pour malades difficiles de 40 lits chacune vont être créées [40 millions d'euros d'investissement, et 22 millions d'euros de fonctionnement].

Les mesures annoncées ne concernent donc bien que la sécurité.

J’ai annoncé une réforme sanitaire des procédures de l’hospitalisation d’office. [...]
Le drame de Grenoble ne doit pas se reproduire. [...]
Risque zéro ?
Entre le tout angélique et le tout sécuritaire, est-ce qu’on ne peut pas se mettre autour d’une table pour trouver le bon équilibre ? [...] Ben oui, ce serait bien, de se donner ce temps de réfléchir ensemble, et de réfléchir au soin pour toutes les personnes concernées, avant de dégager des millions pour la sécurisation, et la soit-disant (parce qu’illusoire, dans son absolutisme) protection des citoyens. D’autant que la discussion éventuelle viendrait une fois de plus après la décision…
Nous allons instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique [...] il faut qu’il y ait des soins ambulatoires sans consentement. [...] L’obligation de soins doit être effective. [...] Antienne éternelle… Comment soigner quelqu’un contre son gré ? La camisole ?
Les sorties de patients doivent être davantage encadrées. [...] Je réfléchis à un système où le préfet doit prendre ses resposabilités. [...] Il doit y avoir un avis rendu par un collège de trois soignants [dont un qui ne connaisse pas le patient].
Autant l’avis des experts est indispensable, [...] la décision, se doit être l’Etat, ou dans certains cas la justice.
Peut-être une idée à creuser. Question : s’il y a un problème, qui en porte la responsabilité ? Le préfet, viré en cas de dérapage ?

La suite sort un peu du cadre sécuritaire.
Je souhaite que vous soyez davantage concernés par la réforme de l’hôpital, et mieux impliqués dans sa mise en oeuvre. [...] Pourquoi, la psychiatrie ne l’est pas ? Quant à la réforme de l’hôpital…
S’il apparaît qu’il faut investir davantage, nous investirons davantage. S’il faut accélérer certains projets, nous les accélèreront. [...] Des moyens supplémentaires au service d’une politique de réforme. [...] Il est essentiel d’accroître l’attractivité de vos métiers, et de vos carrières. C’est noté, Mr le Président. Reste à savoir dans quel(s) domaine(s) vous serez prêt à investir, car ce n’est guère ce qui se profile.

Notre pays a besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui soigne et qui guérit [...] où le bien-être des malades et des personnels doit être prise en compte et améliorée. In memorandum…

A y voir d’un peu plus près (ou d’un peu plus loin !), les propositions rejoignent étrangement celles de la rétention de sûreté, ou celles de l’emprisonnement des jeunes (voir à ce sujet Lettre ouverte au Président de la République française).
Sauf que la protection d’une société ne passe pas forcément pas l’enferment de ses citoyens potentiellement dangereux, mais peut-être davantage par un accompagnement réel et personnalisé de ceux-ci…
Voilà en tout cas qui pose les termes d’un choix de société… voire de civilisation.

Edité le 25 Janvier : l’un des signataires de La Nuit Sécuritaire est le co-lanceur (comme les lanceurs d’alerte ?) de l’Appel des Appels.


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