Fragments de Vieillesse – la goutte d’eau

Cela fait quelques longs mois que je n’ai plus évoqué les péripéties de Nesca et Ama.
Non par forfait en cours de match, non par désintérêt, mais tout simplement parce que j’avais trop la tête dans le guidon, et que je me sentais incapable d’écrire sur leur situation avec le brin de recul nécessaire pour que cela puisse intéresser qui que ce soit…
D’autant plus que je n’avais plus aucun renseignement (aucune information concrète) à transmettre, et que je ne peux plus que témoigner (voir à ce sujet Quand le long fleuve tranquille rencontre un barrage… vieillesse et maisons de retraite).

Un témoignage qui au fil du temps se transforme en un grand cri, de rage, de désespoir, de colère.
Un témoignage auquel j’essaierai de me tenir malgré tout, suivant en cela l’exemple de Christie, de Janine, de Julie… et j’en passe !
Pour que nos expériences respectives ne restent pas absolument inutiles. Vaines parce que cantonnées au cas particulier.

Mais justement, ces cas particuliers ne le sont pas tant, et il serait temps que des fées clochettes commencent à entendre les grelots et autres sonnettes d’alarme.
Mon témoignage se fera dans le désordre chronologique, mais je crois que ce n’est pas le plus important (l’ordre chronologique ).

Donc la goutte d’eau d’aujourd’hui…

Je ne sais plus vraiment où j’en étais restée, mais je crois que j’avais déjà dit qu’Ama perdait l’usage de la parole.
Perte d’usage qui s’est progressivement accompagnée d’une diminution patente de toutes ses facultés intellectuelles, ou, pour mieux dire, cognitives.

Elle est donc dans une maison de retraite depuis le mois d’Août 2008.

De nombreuses péripéties, sur lesquelles je reviendrai, ont conduit à ce qu’elle soit aujourd’hui même transférée provisoirement dans un service de psycho-gériatrie.
Pour une évaluation, disent-ils, qui permettra de mieux la prendre en charge.

Je ne peux qu’émettre de grands doutes sur les intentions… Et être très préoccupée de ce que cette mesure va entraîner chez Ama en termes de pertes de repères, de désorientation, d’aggravation de son état.

Mais un peu lasse, et sans que l’on m’ait réellement demandé mon avis, j’ai accepté cette mesure. Et accepté de l’accompagner (la mesure, et Ama).

J’ai donc accompagné Ama, cet après-midi, dans ce nouveau service, en essayant de rendre positif ce changement, qui de toute évidence va être difficile pour elle.
Nous avons été reçues par une dame charmante, prévenante, et pleine d’attentions.

Une dame qui, je suppose, est infirmière.
Une dame qui certes était au courant qu’une nouvelle patiente arriverait dans son service.
Mais qui ne savait rien de sa problématique, puisqu’elle m’a même demandé, un peu interloquée : « elle ne parle pas ? ».

Le feeling étant bon, je fais confiance à cette dame, et il n’est en aucune façon dans mon intention de remettre en cause le personnel en tant que tel, et encore moins les personnes qui ont à gérer des situations délicates.
Reste que cette personne, et je suppose toute l’équipe chargée d’accueillir Ama, n’est informée de rien… et ne sait même pas pourquoi Ama est dans son service.

Reste qu’Ama, dans sa désorientation, n’a cherché qu’une chose pendant que j’étais présente : sortir.

Mais la goutte d’eau, celle qui m’a mise hors de mes gonds, c’est celle-ci :
Ama se retrouve dans une chambre qui ressemble en tous points (y compris dans l’orientation, ce qui est un pur hasard) à celle qui était la sienne dans la maison de retraite.
Elle pourrait donc s’y retrouver relativement facilement.
A un petit détail près : cette nouvelle chambre ne comporte pas la moindre de ses affaires personnelles !

Un détail, me direz-vous.
Mais non, justement, c’est loin d’être un détail !!!
Ama, dans sa propre chambre, ne retrouve pas forcément ses affaires. Et n’est donc pas dans la capacité de faire ce qu’elle souhaite : s’habiller comme elle le souhaiterait, se maquiller, se laver les dents et son dentier…
Voilà qu’elle se retrouve dans un nouveau service, sensé mieux l’accompagner, sans aucune de ses affaires personnelles, de la jupe à la brosse à dents, en passant par les photos et la culotte !

Comment et en quoi ce séjour pourra-t-il lui être profitable dans ces conditions ?
Alors qu’elle a toutes les chances (les risques) de perdre les repères difficilement acquis au fil des mois, et qu’on la met dans des conditions où elle ne peut en retrouver aucun ?

Si je tente de résumer, tout à la fois très subjective, et très consciente de la manière dont l’institution peut en venir à nier l’humain, voilà une personne désorientée, et qui ne peut parler, changée à brûle pour point de lieu de résidence, sans même que la moindre précaution soit prise pour à tout le moins préserver son environnement intime, et le peu de repères qu’il lui reste.

Est-il possible qu’au XXième siècle l’on puisse traiter un être humain de la sorte ? Sans la moindre considération…
Est-il possible qu’une personne en détresse voit ainsi sa détresse augmentée par les services sensés la soulager ?

J’espère, mais ne promets rien, que je pourrai de temps à autre continuer ce témoignage, dont l’épisode actuel n’est qu’une des péripéties…

Je crains fort cependant qu’Ama ait à souffrir de nouveaux épisodes douloureux… autant qu’inutiles et irrespectueux !


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