La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse) a donné lieu à une mobilisation plus ou moins forte et cohérente.
Pas très facile en effet de se faire une idée précise sur les implications de cette réforme, ses atouts, ses dangers…
Je me posais déjà la question fin Août des cet article: La Réforme de l’Université : une libéralisation ?, avec quelques références à des articles parus dans la presse, ainsi qu’à une émission qui y était consacrée sur France Inter, et au film « Université en Danger », prélude à « Universités, le grand soir ».
Comme cette réforme me semble d’importance, en ce qu’elle risque de déterminer le profil de la recherche, de la science, du savoir et de l’innovation en France pour les prochaines années, je refais un petit tour d’horizon…
- Rue89 y consacre un dossier, où les débats sont instructifs: La Loi sur l’autonomie des Universités
- Le site « Sauvons l’Université ! » tente de rassembler des infos sur la réforme, sur l’actualité des mobilisations, et de faire le point des propositions alternatives
- Le site « Sauvons la Recherche » (SLR), avec en particulier « La CPU expression du milieu ou rouage du pouvoir ? » et « Pétition : Appel pour une autre réforme du service public d’enseignement supérieur et de recherche »
- Le site « L’autre Campagne« , qui propose en particulier une vidéo de réflexion: Universités, le Grand Soir
- diaporama explicatif, un petit résumé « Loi LRU : (1) la démocratie en danger« , et le dossier « Dossier de snesup.fr pour la bataille contre la loi portant organisation de la nouvelle université » proposés par le SnesUp
Je ne résiste pas par ailleurs à vous copier les réponses de Jean-Yves Coquelin – MCF université Michel de Montaigne Bordeaux 3 à un étudiant sur Rue89, parce qu’elles me semblent claires, synthétiques, pragmatiques…
- « sélection et frais d’inscription »
si les frais d’inscription ne devraient effectivement pas augmenter dans l’immédiat, les universités vont être inévitablement tentées d’augmenter massivement les frais de scolarité (liés à l’inscription à un diplôme et non à l’université) pour rejoindre les niveaux actuels des écoles (de 1000 à 6000 euros) en particulier pour les formations professionnelles (master pro et licence pro).
- « financement »
le risque majeur du recours au financement privé comme palliatif au non-rattrapage budgétaire public observé depuis 20 ans est que les entreprises investiront prioritairement dans des formations préparant à des métiers qui les concernent directement au détriment des formations généralistes (licences) qui, elles, continueront de se paupériser gravement. Les universités de lettres et sciences humaines craignent légitimement d’être les parents pauvres d’un système sans instance de régulation et de redistribution permettant de conserver la diversité des disciplines actuellement enseignées.
- « démocratie universitaire »
Passer d’un CA de 60 membres à 30 membres semble intéressant sur le papier (mobilisation plus active des élus et resserrement des débats). Pourtant, en réduisant à 5 le nombre d’étudiants élus et à 3 le nombre de membres du personnel administratif, le risque est majeur de réduire leur représentativité. De nombreuses sensibilité ne seront pas représentées. La diversité des opinions exprimées est une garantie de la confiance dans les instances démocratiques.
- « statut des personnels »
L’une des réformes à venir est la transformation du corps des maîtres de conférences qui sont actuellement enseignants-chercheurs et peuvent enseigner de la licence au master. Les universités devraient rapidement se scinder en deux avec d’un côté des « instituts universitaires » centrés sur les formations de licence et de l’autre l’enseignement lié à la recherche (master, doctorat). Les Maîtres de conférences cesseront d’être des chercheurs pour se contenter de leur fonction d’enseignant. Leur service statutaire passera des 192h actuelles à 288h (le chiffre est déjà arrêté dans le projet gouvernemental et connus par les syndicats). Cette solution a l’avantage pour le gouvernement de réduire les coûts et d’absorber le déficit de postes non créés depuis des années.
- « méthodes de recrutement des enseignants chercheurs »
En quoi la nouvelle loi vous gêne-t-elle?
La loi LRU ne simplifie pas la procédure de recrutement qui fonctionnera selon le même principe de l’ »oral ». C’est la composition du « jury » qui change. Plus de spécialistes élus, mais un comité de sélection composé de membres désignés par le président avec seulement une « majorité » de spécialistes de la discipline. Qui plus est, le président a droit de véto sur le choix du comité, au cas où la personne recrutée ne lui convienne pas. Le risque est grand du clientélisme et de l’arbitraire.
- « gestion immobilière »
« Les facs ont le droit d’aquérir leurs locaux. Et alors? Purement technique non? Quels sont les enjeux, qui m’échappent totalement? »
A partir du moment où les universités deviennent propriétaires de leur bâti, elles en auront aussi la charge « autonome » quant à leur rénovation. Beaucoup de facs n’auront pas les moyens d’entretenir des bâtiments souvent vétustes. La Loi LRU, dans ses articles enchaîne d’ailleurs le transfert de propriété aux université et la possibilité qui leur est désormais offerte de vendre leurs biens. Là encore, c’est une solution économique à l’asphyxie financière dont souffrent les universités. Certaines universités (les plus riches ou celles qui ont déjà bénéficié de dons en biens immobiliers de la part d’anciens riches étudiants sans descendance) voient dans cette nouvelle possibilité une solution pour récupérer de l’argent frais. Mais celles qui n’ont rien à vendre (comme celle dans laquelle j’enseigne : Bordeaux 3) n’y voient qu’un leurre.
- « missions de l’université »
la 3e mission ajoutée est ainsi formulée : « orientation et insertion professionnelle ». Là encore, sur le papier, pourquoi pas ? Tous les enseignants se préoccupent de l’employabilité de leurs étudiants. La question qui n’est jamais posée est la suivante : quel lien de subordination entre les deux premières missions (formation et recherche) et cette troisième nouvelle venue ? Jusqu’à quel point l’insertion professionnelle ne va-t-elle pas conditionner l’évolution de l’offre de formation au risque de voir disparaître des filières que nous regretterons peut-être dans vingt ans d’avoir enterrées trop vite sans être capables (faute de spécialistes formés) de les enseigner à nouveau (langues rares ou anciennes, histoire antique, médiévale, arts…). L’adaptation stricte au marché de l’emploi est un piège à moyen terme. La seule vraie garantie de former des étudiants capables de s’insérer professionnellement est de leur offrir une formation de haut niveau. Pour cela, pas de miracle : des heures de cours. Or, en quinze ans, un quart au moins des heures de cours a été supprimé de réforme en réforme, pour alléger les coûts.
Voilà quelques-uns des éléments que je pouvais livrer à votre réflexion. D’autres encore ne manqueraient pas de vous convaincre que si l’enseignement supérieur a besoin d’une réforme profonde et d’un plan de financement à la hauteur, il ne peut s’agir de ce que met en place et que prépare le gouvernement.
Edité le 14/12/2007 :
trouvée aujourd’hui, cette « lettre ouverte » de Jean-Pierre Gesson, Président de l’Université de Poitiers, retranscrite dans le blog Dominique GAMBIER, dont je vous livre quelques extraits :
- nous sommes nombreux à attendre depuis des années une loi donnant aux universités des capacités accrues de développement. Des capacités accrues, c’est-à-dire une organisation d’un autre ordre, un mode de fonctionnement différent, mais aussi des moyens financiers et humains renforcés,
- cette loi ne modifie rien quant au principe de la non sélection à l’entrée à l’université.
- cette loi ne modifie rien quant à la fixation des droits d’inscription,
- Les spéculations sur des recrutements « massifs » de contractuels sont donc fort peu fondées.
- il nous appartiendra de définir les modalités de mise en place des comités de sélection qui devront, bien naturellement, être majoritairement constitués (comme la loi l’indique) de spécialistes de la discipline, et pour moitié d’extérieurs (et cela dans le respect de deux exigences : que le dispositif garantisse la compétence scientifique des membres de ces comités et que leur mode de désignation soit pluriel pour éviter tout arbitraire).
- nous sommes tous bien d’accord sur un point : l’ « autonomie » ne doit pas se traduire par un désengagement de l’Etat et nous devons continuer de tenir un discours soulignant la nécessité de mener en parallèle le chantier de la réforme et le renforcement des moyens publics attribués aux universités.
Suite : Universités: questions – réponses sur la loi LRU (2)
Autres articles sur ce blog :
- La Réforme de l’Université : une libéralisation ?
- Pour une politique de service public pour l’enseignement supérieur et la recherche
- Université : la Sorbonne et la censure
… et quelques sites qui restent vigilants:
- Problème de vision
- Sud Etudiant
et HNS Info, qui s’en fait le relais…
- et Rue89, qui publie plusieurs reportages sur les « répressions«
Tags: éducation, jeunesse, services publics, Société, gouvernement, LRU, mobilisation, Pécresse, politique, RGPP, université