Recherche : CNRS, sciences humaines, sciences de la vie

J’essaie de poursuivre ma réflexion sur la réforme de La Recherche en France… ou sur la RGPP appliquée aux innovations futures.
J’essaie de résumer ici ce qui va se passer pour le CNRS (et qui est emblématique de cette réforme), tout en répondant en partie à notre cher anonyme par nécessité !

Encore une fois, je ne suis en aucun cas une spécialiste de la question, et ne prétends pas donner un point de vue expert.
Je soumets juste mes questionnements, parce que j’ose encore espérer que ce débat fondamental sortira des milieux spécialisés et directement impliqués, autrement dit que d’autres que les chercheurs se sentiront concernés !

Je ne vais pas me livrer au point par point auquel s’est livré Anonyme.
Je vais essayer de comprendre en quoi cette réforme m’inquiète, car, comment dire… ce qui me gêne, c’est moins la lettre que l’esprit. Pas les mesures une à une, mais la vision globale, et les perspectives qui s’y dessinent.

La modernisation, le changement, l’amélioration, sont, là comme partout, nécessaires, voire indispensables. Mais comme pour l’ensemble de la RGPP, c’est la vision globale qui me gratouille, et dans le cas précis bien au-delà de la perspective comptable.

Ainsi, le CNRS, organisme central et centralisateur de la recherche en France, risque d’être dépecé.
D’abord parce que certaines sciences en seront exclues, telles que celles dites sciences de la vie, ainsi que la recherche concernant l’informatique.
Or quand je dis que le CNRS est centralisateur, c’est parce que justement il est à même de coordonner des recherches pluridisciplinaires. Ce qui risque d’être plus compliqué après les dispositions actuellement préconisées.
Ensuite parce que l’évaluation jouira d’un étage supplémentaire. En termes de simplification et d’efficacité, il n’est pas certain que cela soit très productif.
Enfin parce que celui-ci va devenir une agence de moyens. Le terme technocratique recouvre une diminution du pouvoir décisionnaire et gestionnaire (et par voie de conséquence scientifique) du CNRS, qui de fait n’aura plus qu’à répondre à la commande.
Une commande qui sera encore plus aux mains du politique et de l’administration. Or, cher Anonyme, bien sûr que c’est l’entreprise France qui décide… mais jusque-là avec une petite marge de manoeuvre pour les chercheurs. Qui va encore se réduire. Si, les choses vont changer !

Il me semble que dans une perspective de long terme il aurait mieux valu au contraire renforcer l’indépendance de la recherche, en instituant des mécanismes de régulation démocratiques.
La démarche actuelle va en sens inverse, et il me semble que la crainte des chercheurs de la « vente à la découpe » est fondée. (voir Organisation de la recherche : bientôt la vente à la découpe).

Les sciences de la vie et l’informatique vont donc sortir du package… Pourquoi celles-là ? Pourquoi pas les autres ensuite ?
Anonyme, je maintiens : avec un risque accru que la recherche fondamentale soit le parent très pauvre de la recherche appliquée !
Quant aux sciences humaines et sociales, rarement rentables à court terme, elles devront se partager les 30 % du budget non alloué aux recherches prioritaires.
Je ne suis pas du tout sûre dans ces conditions qu’elles puissent vraiment développer leurs recherche, malgré cette affirmation : « On en a vraiment besoin pour comprendre les mécanismes sociaux et donc gouverner » !
Besoin de sondages, oui… Pour le reste….
Les recherches dans ce domaine sont souvent longues, et interdisciplinaires, sans avoir forcément un résultat immédiat.
Leur sortie du CNRS avait également été évoquée… Il est à craindre que ce ne soit que partie remise !

Concernant les moyens alloués, il semble bien que ceux-ci se feront sur projet, donc que les moyens financiers ne seront pas pérennisés… et les moyens humains pas davantage ! Il s’agirait en effet de pouvoir effectuer des recrutements ciblés pendant un ou deux ans pour combler les déficits dans certains domaines. Un ou deux ans, voire quelques mois ?
Il me semble, Anonyme, que cela ne concerne pas « surtout le personnel non-chercheur » !
Or une maître de conférences affirme dans Les chercheurs au rendez-vous (L’Humanité) que 50% de la recherche française est faite par des précaires… Pas sûr que ce soit le meilleur moyen pour être efficace !

S’agissant du crédit d’impôt recherche (CIR), je renvoie à cette magnifique analyse d’Alain Trautmann : Le Crédit Impôt-Recherche, mesure pertinente ou véritable escroquerie ?. Je crois que tout est dit, bien mieux que je ne pourrais le faire !
Je n’ai rien a priori contre le fait de donner de l’argent à la recherche privée. Je m’interroge sur la meilleure utilisation possible pour la recherche et les avancées scientifiques de budgets qui sont tout de même considérables !
Et si l’on suit le raisonnement de Trautmann, on ne peut que rester sceptique.
Que par ailleurs certains crédits ne soient pas utilisés demanderait en effet que l’on se penche sur la question, que l’on s’interroge sur les raisons de ces dysfonctionnements, et que l’on y remédie. Je crois que personne dans ce débat ne prône un immobilisme imbécile, et que tout le monde (ou en tout cas la grande majorité) souhaite une amélioration et une optimisation.

Il me semble que l’idéologie qui sous-tend ces réformes est en droite ligne de la primauté de l’évaluation, et de la culture du résultat. Deux éléments indispensables, mais qui n’ont plus grand sens quand tout se réduit à eux, en tout cas dans certains domaines. Et il me semble que la recherche fait partie de ces domaines où la réflexion mérite d’être grandement élargie, au même titre que les services publics, que la culture ou que l’éducation.
Par ailleurs, comme dans ces derniers secteurs, il semble que le but ultime soit un désengagement de l’Etat, au nom de quelques économies budgétaires… qui risquent de coûter cher à long terme !
Mais une fois que le démantèlement sera effectif, il sera bien difficile de revenir en arrière.

Quelques sources :
¤ bien sûr, le site Sauvons la Recherche, et en particulier (choix évidemment subjectif !) :
- Le financement de la recherche sur projets : une politique coûteuse et peu efficace
- Scientifiques, ouvrez les yeux !
- V. Pécresse, R. Bachelot, A. Syrota et l’organisation de la recherche

¤ plusieurs articles dans l’Humanité des 27 et 28 mai, dont :
- Les chercheurs reprennent la rue
- Il n’y a pas de réflexion sur la place de la science dans la société
- La recherche fondamentale doit garder une autonomie

Voir aussi :
¤ La Culture du Résultat dans la Fonction Publique
¤ Evaluation et Indicateurs dans les Politiques Publiques
et pour la réforme des universités (indéniablement liée) : LRU
sans oublier les lanceurs d’alerte… qui auront bien du mal à exister si les seuls guides de la recherche sont la rentabilité et le marché !


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